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Patrice Caradec (Alpitour) : « Nous ne progressons pas aussi vite qu’on l’aurait voulu »

A l’issue de l’exercice 2024, Alpitour France (Bravo Clubs) n’a pas atteint ses objectifs. Patrice Caradec, son dirigeant, revient sur l’année écoulée et sur l’évolution du secteur.

L’Echo touristique : Comment s’est passé l’exercice pour Alpitour France ?

Patrice Caradec : La saison hivernale a été très bonne, ce qui nous a permis de bien démarrer l’exercice. D’ailleurs, tous les mois de l’année ont été très bons, et en croissance. Hormis le mois de juillet, où nous accusons une baisse de chiffre d’affaires de 7%, et de 12% en nombre de passagers. Alors qu’on s’attendait à une croissance de 15% sur cette période clé… Le début de l’été a donc été mauvais et nous empêche d’atteindre les objectifs fixés en début d’exercice. On s’attendrait vraiment à mieux faire. Mais Alpitour France enregistre tout de même son record depuis son lancement, avec un chiffre d’affaires qui dépasse les 30 millions d’euros, et 28 000 clients.

Pourquoi ce mois de juillet n’a pas été bon ?

Patrice Caradec : Le marché français a pris sa décision trop tardivement, provoquant une tension voire une rupture sur les stocks de chambres. Et, si on ne s’engage pas, nous n’avons plus accès à ces stocks… Mais le marché demande désormais une souplesse qui complique la politique d’engagement d’un voyagiste. C’est l’équation qu’il faut résoudre, actuellement, quand on pilote un tour-opérateur : comment offrir la flexibilité voulue par les clients tout en garantissant un accès aux stocks et un tarif ? Soit on s’engage, au risque de brader les chambres, soit on joue la flexibilité, au risque de ne plus avoir assez de produits au moment où la demande s’envole. C’est un constat qui vaut surtout pour la saison estivale.

Vous avez officié pour des voyagistes historiques qui misaient tout sur cette politique d’engagement.

Patrice Caradec : C’est le marché qui dicte sa loi. Il y a dix ans encore, une offre Clubs était adossée à 75% sur des vols affrétés ou des blocs sièges. Cet été, nous avions 20% de stocks… et c’était déjà trop. Nous n’avons pas vendu avec la marge que nous attendions. Le client veut de la flexibilité, c’est comme ça. Sans outil dynamique, un voyagiste ne peut plus survivre. Il a représenté 77% de notre chiffre d’affaires cette année, et il atteindra 90% en 2025. Hormis sur certaines destinations comme le Cap-Vert, il n’est plus nécessaire de s’engager. Je pense que la souplesse offerte par le package dynamique répond aussi à une contrainte budgétaire de nos clients. Nous n’avons pas beaucoup vendu de séjours de deux semaines sur lesquels nous étions engagés : ils sont devenus trop chers, surtout en juillet/août.

L’Egypte est un très bon levier de croissance

Cette nouvelle donne transforme aussi la façon dont vous opérez, notamment un club ?

Patrice Caradec : Le fait qu’il y ait des arrivées quotidiennes modifie toutes nos opérations. Nos concepts, et notamment Clubs, doivent s’y habituer. Désormais, la réunion d’accueil n’a pas lieu une fois par semaine… mais tous les jours ! J’ai l’impression, moi qui suis un professionnel des clubs, que l’essor du package dynamique a paupérisé les clubs, a désengagé un peu les voyagistes de la promesse initiale. Le fait que tout le monde arrive en même temps créait une ambiance différente. Le programme d’animations en est chamboulé aussi : la dernière soirée, avec le dîner de gala, n’a plus lieu d’être par exemple. Le dernier jour, c’était aussi celui du spectacle des mini-clubs, qui était une sorte de fil rouge pendant un séjour. Ce sont des exemples concrets de l’impact de ces arrivées quotidiennes sur nos clubs. Mais nous nous adaptons.

En 2025, votre production fait une large place aux combinés (circuits, safaris, croisières). C’est aussi ça l’adaptation ?

Patrice Caradec : Alpitour France est un tour-opérateur spécialiste des clubs. C’est dans notre ADN. Toutefois, nous avions dans notre portefeuille des destinations sur lesquelles il est compliqué de ne faire que du club. C’est pourquoi nous avons ajouté des combinés avec des circuits en Thaïlande ou au Vietnam, des croisières en Egypte où des safaris au Kenya et à Zanzibar. Ces derniers produits marchent très bien. A date, nous avons 12 produits combinés. Ca va aussi nous permettre de développer notre clientèle. Alpitour a toujours séduit la clientèle dite « clubard », mais il nous manque sans doute 50% de clientèle également intéressée par les circuits.

Votre placez davantage de pions en Egypte, avec cinq croisières notamment. Ca n’est pas un pari trop risqué, étant donné la situation sécuritaire au Proche-Orient ?

Patrice Caradec : Risqué ? Non, il n’y a pas de risque. Parce que l’Egypte, malgré toutes les situations auxquelles elle doit faire face, finit toujours par revenir sur le marché français. Au contraire, j’estime qu’il vaut mieux se positionner maintenant. Ca nous a aussi permis de trouver un super réceptif, avec qui nous pourrons atteindre nos ambitions sur la destination. D’ailleurs, en termes de vente, l’Egypte retrouve du rythme ces derniers temps. Même si nous n’avons pas encore fait mouche, les croisières fonctionnent plutôt bien. La Mer Rouge démarre plus timidement, mais ça viendra. Pour faire mieux, nous devons développer nos destinations et nos produits, et l’Egypte est un très bon levier de croissance.

Vous lancez aussi une nouveau concept de club. C’est définitivement votre spécialité ?

Patrice Caradec : Alpitour élargit sa gamme de produits mais ne devient pas un voyagiste généraliste. Le cœur de notre offre, c’est les clubs. Et donc nous lançons un troisième concept : les Eco-Club. C’est une ligne de produits qui doit montrer qu’il n’est pas obligatoire de payer plus cher pour voyager éco-responsable. Nous avons sélectionné trois partenaires hôteliers (Tunisie, Grèce, Crète) à qui nous avons demandé de s’engager sur différents sujets, comme l’usage de plastique unique, le sourcing de leurs produits ou les relations qu’ils entretiennent avec leurs salariés. De notre côté, nous nous engageons aussi à compenser les émissions carbones des vols, qui seront toujours des vols directs.

Vous compenserez à 100% ?

Patrice Caradec : Nous compenserons plutôt autour des 2/3 des émissions émises. C’est supérieur à ce que recommande le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Une enveloppe sera remise, pour chaque client, à l’association A Tree For You, avec qui nous avons noué un partenariat.

Il ne faut pas se leurrer : nos clients seront touchés par les hausses d’impôts

A quoi répond le lancement de ce nouveau concept ?

Patrice Caradec : Cela répond à deux choses. D’abord, ma volonté d’avoir une gamme de produits plus économiques. J’ai envisagé de développer un label « Eco » aux Bravo Clubs, mais ça n’aurait pas collé avec la promesse initiale. Les Eco-Club sont installés dans des hôtels 3 ou 4* au très bon rapport qualité/prix. Avec un concept d’animation plus léger et plus orienté sur l’extérieur du club (visite de village, de marchés…), et donc une équipe d’animateurs plus resserrée, nous pouvons atteindre ce point d’équilibre entre vacances économiques et écoresponsables. Parce que la demande des distributeurs pour des produits plus durables est grandissante. C’est la deuxième chose à laquelle on répond avec les Eco-Clubs.

Avec cette offre, quels sont vos objectifs pour 2025 ?

Patrice Caradec : Nous espérons atteindre les objectifs qu’on s’était fixé pour cette année, c’est-à-dire dépasser les 40 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous pensons pouvoir y arriver, même si nous ne progressons pas aussi vite qu’on l’aurait voulu. Mais Alpitour France est en croissance, chaque année, depuis sa création. Pour réussir 2025, nous devrons corriger ce qui a moins bien fonctionné en 2024, et donc avoir plus de produits disponibles, jusqu’à la dernière minute, pour la saison estivale. Il faut aussi espérer que le contexte économique français ne soit pas trop impactant pour nos clients.

Vous faites allusion aux probables hausses d’impôts qui seront décidées dans les semaines à venir ?

Patrice Caradec : Il ne faut pas se leurrer : nos clients seront touchés par ces hausses de la fiscalité. Les Français qui voyagent en avion sont souvent issus de la catégorie dite des « CSP+ », et c’est elle qui sera mise à contribution pour le budget 2025.

D’autant plus que le prix des voyages ne cesse d’augmenter.

Patrice Caradec : L’inflation est bien présente dans le tourisme, même si elle s’est largement tassée dans l’aérien. Mais sur l’hôtellerie, il n’y a aucun doute : les hôteliers sont rois. Les négociations sont devenus très âpres, et il est difficile d’échapper à une hausse des prix, notamment face à la concurrence de marchés très dynamiques comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou la Pologne. Il y a aussi ces destinations qui renforcent les formalités administratives – je suis persuadé que l’obligation de présenter un passeport pour entrer en Tunisie a refroidi la demande cet été – ou qui mettent en place des taxes supplémentaires sous couvert de tourisme durable et de lutte contre le réchauffement climatique. Ce sont autant de paramètres que nous devons surveiller.

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