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Christian Delom : « Pour être résilients, nos business models doivent être beaucoup plus rentables »

Avec le Covid-19, le tourisme a su surmonter une crise d’une violence inédite, battant à nouveau des records. Mais pour Christian Delom, le secrétaire général du forum A World for Travel, pas question de crier victoire. Face aux défis actuels, l’industrie du tourisme doit plus que jamais remettre en question ses modèles économiques.

L’Écho touristique : Le secteur a traversé crise sur crise ces dernières années. Les destinations touristiques doivent développer leur résilience. Mais comment y parvenir ?

Christian Delom : Une destination ne peut être résiliente si les entreprises qui y opèrent ne le sont pas. La transformation durable, l’amélioration de la qualité et la résilience sont en réalité les trois composantes d’un seul et même sujet : avoir, ou non, la capacité économique à surmonter une crise. Tout cela est étroitement lié à des modèles de développement qui sont soit quantitatifs, soit qualitatifs. Pendant des années et des années, le secteur a privilégié un modèle quantitatif.

On baisse les prix, on augmente les quantités…

Christian Delom : Absolument. Mais le problème de ce modèle, c’est qu’il génère des marges très faibles, et que pour atteindre un minimum de rentabilité, il faut des volumes maximum. Ce modèle est donc tout sauf résilient. Nous l’avons observé lors des récentes crises, celle du Covid-19, mais aussi celle liée à l’évolution actuelle de la demande.

La résilience ne peut être assurée que si l’entreprise dispose de réserves suffisantes pour tenir bon, redémarrer et souvent réinvestir. Avec un modèle fondé sur la quantité, dès qu’il y a une baisse de volume, on court après le volume en baissant les prix, à un moment où les coûts peuvent augmenter. On l’a vu avec la crise de l’énergie. Sauf que plus on baisse les prix, plus il faut de volume…

Un cercle vicieux, en somme. Comment en sortir ?

Christian Delom : À mes yeux, il faut revoir les stratégies de développement, il n’y a pas d’autre choix. La montée en gamme, ce n’est pas une lubie, c’est une nécessité. Pour que les produits positionnés dans le luxe ou le haut de gamme se trouvent en mesure de compenser, et donc que les entreprises puissent continuer à servir le moyen et le bas de gamme. Sans effet de gammes, les entreprises ne peuvent être rentables.

D’autant qu’il faut s’attendre à d’autres crises…

Christian Delom : Aucune des crises auxquelles nous avons été confrontés n’est rassurante. Entre la crise énergétique et la crise climatique, les objectifs de 2030 semblent difficilement atteignables, et encore plus ceux de 2050. À un moment, il va y avoir un serrement de vis. Est-ce que ce sera réglementaire, sous forme de taxe… ? Je ne le sais pas. Mais il y a aura un effet, c’est évident. Mieux vaut anticiper plutôt que d’être dans le déni.

Comment anticiper ces crises souvent imprévisibles ?

© Adobe Stock
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Christian Delom : Anticiper, c’est par exemple investir dans la rénovation énergétique des bâtiments ou dans de la formation. Il est vrai que jusqu’à présent, les crises géopolitiques ont eu peu d’impact, à part bien sûr sur les destinations directement concernées. Mais il y a tout de même un effet indirect, à cause de l’inflation par exemple. On peut aussi craindre que demain, les budgets nationaux soient davantage mobilisés sur la sécurité ou les nouveaux investissements, tels que l’IA.

Le secteur du tourisme risque d’être moins soutenu. Pour être résilients, nos business modèles doivent être beaucoup plus rentables. Si nous n’assumons pas une augmentation de la rentabilité, nous allons au-devant d’énormes difficultés. Il faut augmenter les prix, investir, et améliorer la productivité. Et pour cela, il faut des équipes capables de monter en puissance, parce que ce sont elles qui vont être les acteurs de ce changement.

Le changement de modèle que vous évoquez pourrait se doubler d’une autre révolution, avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. Quel rôle pourrait-elle jouer dans ces mutations ?

Christian Delom : L’IA va remodeler les métiers, en enrichissant leur contenu, ce qui demandera davantage d’autonomie aux employés. À terme, elle pourra prendre en charge l’ensemble des interactions transactionnelles. Mais pour ce qui est des interactions relationnelles, c’est beaucoup plus complexe. D’autant que plus on monte en gamme, plus le niveau d’exigence du consommateur augmente.

« Mieux vaut anticiper plutôt que d’être dans le déni »

En ce sens, il peut être intéressant de s’inspirer des pratiques des industries du luxe, l’organisation, la formation ou la gestion des circuits de décision dans un palace, sur les croisières de luxe ou des vols en première classe… C’est ainsi qu’on améliorera le consentement à payer sur des produits à meilleure valeur.

Cela signifie-t-il que nous allons repenser notre conception du voyage et voyager moins, mais mieux ?

Christian Delom : Je l’espère. Les professionnels chargés de la commercialisation, de la communication ou de la distribution ont un rôle fondamental à jouer pour accompagner ces changements. Si la commercialisation ne repose plus sur le prix, mais sur l’expérience, il va falloir être en mesure de transmettre ce qu’on appelle le « taste of experience », la capacité de ressentir avant de voyager. Beaucoup de choses vont devoir évoluer. Cela va jusqu’au recrutement, la formation des employés en passant par les perspectives de carrière qui leur sont offertes. Pour moi, c’est la clé du système, le facteur humain est trop souvent négligé.

« Il faut revoir les stratégies de développement, il n’y a pas d’autre choix. « 

L’image que vous décrivez contraste avec les perspectives affichées par le secteur pour 2024 ou les résultats record de 2023…

Christian Delom : Notre situation est très fragile. Elle est beaucoup plus fragile que de dire « la Tunisie ou le Maroc repartent ». Conjoncturellement, on observe des effets de rebond qui sont des effets tout à fait intéressants et nécessaires. Mais ce n’est pas ça qui va changer la trajectoire. Nous avons besoin d’une stratégie. Il faut se remettre autour d’une table, chacun dans nos secteurs, entreprises, élus…

Il y a par exemple de vraies questions à se poser sur les stations de sports d’hiver. Certes, il faut des résultats à court terme, sans cela, il n’y a plus d’entreprises. Mais il faut vraiment investir sur du moyen-long terme et faire de l’innovation un élément constitutif de la stratégie. Ne pas la considérer comme un simple remède à de potentiels problèmes, en priant le ciel pour que ça n’arrive pas. Il n’y a pas de temps à perdre.

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